L’activité du Studio : une pratique artistique engagée

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J’écris cet article en 2025, et cela fait un peu plus de 11 ans que je travaille en tant que graphiste indépendante. J’ai d’abord officié en tant que freelance qui prend toutes les missions qui se présentent, puis en tant que prestataire de service pour créer des supports et identités visuelles pour les entrepreneures dans le bien-être. Aujourd’hui et depuis presque un an, je me considère et me présente non seulement comme graphiste / directrice artistique mais me considère également artiste.

Ce n’a pas été un chemin évident ni rapide (10 ans pour renouer avec ma part artistique !), mais cela me permet maintenant de conceptualiser mon métier et ma pratique d’une manière qui m’est réellement propre… Et c’est ce que j’ai eu envie de vous exposer dans cet article, car il est important pour moi que vous connaissiez mon approche !

On va donc d’abord explorer les différences et le rapport entre graphisme et pratique artistique (selon moi), le concept d’identité visuelle comme œuvre d’art, ma vision de ma pratique artistique aujourd’hui et la question de l’intelligence artificielle. C’est parti !

{ Info : quand je mentionne le mot “art” dans cet article, je parle d’art visuel de type peinture, dessin… je laisse de côté les autres arts comme la musique ou le théâtre par exemple, car ils ne font pas partie de ma pratique aujourd’hui. }

Graphisme, pratique artistique… Quelles différences et quel rapport ?

Après un bac L option Arts-Plastiques, j’ai fait des études d’arts-appliqués (les arts-appliqués, ce sont les disciplines artistiques appliquées à des problématiques concrètes – le design graphique, le design d’espace, le design de mode, bref, tous les designs, entre autres). Les enseignements que j’y ai reçu ainsi que mon état d’esprit à l’époque ont provoqué chez la toute jeune adulte que j’étais un rejet total du terme d’“artiste”.

Pour moi, les artistes étaient obligatoirement les gens qui sortaient des Beaux-Arts (là où ils faisaient des œuvres conceptuelles destinées à être exposées – rien à voir avec les arts-appliqués donc), ou des gens qui n’avaient pas de métier mais qui aimaient bien se donner un genre – je les méprisais à l’époque, aujourd’hui avec du recul je me demande si ce mépris n’était pas la manifestation d’un certain capitalisme internalisé… Mais c’est un autre sujet.

Bref, je n’étais pas “Artiste”, surtout pas. J’étais designer graphique, j’aimais résoudre des problèmes concrets de la vraie vie avec mon outil qui est la communication visuelle. Car le graphisme, c’est prendre des idées qui ont besoin d’être communiquées pour les mettre en image de manière efficace, hiérarchisée, accessible (et belle de préférence)… Et c’était ça que je voulais faire car c’était ce qui me semblait important pour prendre ma place dans le monde. Et ça l’est toujours bien sûr, sinon j’aurais changé de métier… Mais il y a davantage que cela, aujourd’hui.

Illustration pratique artistique Judith Gillet L'Œil Sauvage
Illustration numérique réalisée au Studio – témoin de ma pratique artistique du moment

Depuis un peu moins d’un an, je me suis réapproprié ce terme d’“artiste”. Car même si je suis toujours graphiste, je crois que je ne me cantonne plus qu’à ça. Au-delà de mes projets clients et de mon expertise très terre-à-terre de designer, j’ai de nouveau une pratique annexe pour interroger le monde conscient et inconscient, visible et invisible, tel que je le perçois, à travers des œuvres visuelles – en espérant que cela résonne chez d’autres personnes. Et c’est cela, selon moi, l’essence de l’Art. C’est une exploration sensible, sincère, constante et totale, incarnée dans une pratique, ainsi que la volonté de créer du beau et du sensé.

Et forcément, la pratique artistique nourrit le travail de design. Tout est interconnecté, et je réalise aujourd’hui que se scinder en deux (l’artiste VS la designer) c’est se condamner à générer des créations graphiques qui manquent de profondeur, d’âme. Des trucs qui fonctionnent mais qui ne vont peut-être pas très loin dans l’émotion. Des choses qui marchent dans le conscient mais qui ne titillent pas l’inconscient. Bref, se couper de sa part artistique c’est se couper des 3/4 de ses capacités de création dans un métier qui touche à la communication visuelle. Ça a l’air évident maintenant que je l’écris mais j’ai mis du temps à le réaliser et à l’assumer.

Au-delà de ces considérations très personnelles et ancrées dans mon vécu et mon histoire, je pense qu’il est important de noter également que conceptualiser, dessiner ou peindre des idées, des animaux, des gens, et tout le monde visible ou invisible qui nous entoure est une pratique profondément humaine (qui remonte au minimum aux grottes de Lascaux)… Humanité dont on peut cruellement manquer dans notre monde actuel et à laquelle il fait bon de se reconnecter, à mon sens – et l’art peut servir à cela.

L’identité visuelle comme œuvre d’art

Ma vision du travail d’identité visuelle (ma spécialité en tant que graphiste) a donc bien évolué également.

Avant et pendant plusieurs années, j’ai eu tendance à sur-simplifier ce dont il s’agissait en disant que “c’est un logo, une palette de couleurs, un système typographique, des éléments graphiques et une direction photo destinés à rendre la communication visuelle d’une marque cohérente”. Même si c’est, en soi, la définition de base de “l’identité visuelle”, je considère aujourd’hui que ça ne se résume vraiment pas qu’à ça, et je considère maintenant chaque nouvelle identité visuelle créée comme une œuvre d’art.

Car à la manière d’une œuvre d’art, une identité visuelle doit découler d’une réflexion profonde, de recherches, d’explorations. Tout ce processus a pour objectif de donner naissance à un langage visuel construit avec intention, une œuvre globale où chaque détails compte, chaque choix a un sens autant symbolique qu’esthétique.

Même si je réfléchissais déjà à peu près comme ça quand je bossais sur une identité visuelle avant, cela prend une toute nouvelle dimension assez difficile à exprimer depuis que j’ai repris ma pratique artistique.

Aujourd’hui je suis donc fière de dire que mon approche au Studio repose sur une exploration créative ancrée dans l’histoire de l’art (l’impressionnisme, l’Art Nouveau, le surréalisme notamment m’influencent énormément), qui a pour but de donner naissance à des idées qui se veulent vivantes, intemporelles et aussi singulières que mes client·es et leurs univers.

Illustration numérique réalisée au Studio – témoin de ma pratique artistique du moment

L’importance de la pratique artistique, selon moi

Dans un monde où le sens et l’humanité ont tendance à manquer (et c’est un euphémisme), la pratique artistique a selon moi toute sa place.

Comment reprendre son pouvoir face aux réseaux sociaux remplis de contenus faux et horribles, face aux nouvelles du monde toujours pires, face au burn-out provoqué par les bullshit job, face aux dépressions, et face à tout le reste ? Créer de l’art.

De l’art pour se comprendre, se voir, se sentir mieux peut-être, mais surtout pour véhiculer sa vision, ses émotions, libérer sa parole et toucher le reste du monde, à son échelle. De l’art pour ajouter une pierre à l’édifice de la Protopie. Ce n’est pas un petit geste de colibri, mais un acte engagé au quotidien pour un monde un peu meilleur, sur un temps “lent et long”. C’est la création au jour-le-jour du futur immédiat que l’on souhaite vivre.

Alors bien sûr que créer des œuvres d’art ne va pas arrêter un génocide ou magiquement rendre le monde entier plus juste… mais il nous permet de redonner de la profondeur et de l’espace à “tout ce qui est bon en ce monde” (qui a la référence du Seigneur des Anneaux ?), à tout ce qui mérite selon nous d’être vu et entendu et, à mon avis, on en a cruellement besoin. En tout cas, moi, j’en ai besoin !

La question de l’intelligence artificielle générative

Brûlante question qui occupe l’esprit de nombreux·ses créateur·ices. Mon avis sur cet outil ultra plébiscité se construit petit à petit, mais déjà, je sais une chose : il ne me fait pas peur (enfin si, la catastrophe écologique, le plagiat et le potentiel de génération de fausses informations qu’il représente me fait peur, mais ici ce n’est pas le sujet).

On me demande régulièrement si “j’arrive à avoir du travail malgré l’avènement de l’IA”, ou si je n’ai pas peur que “l’IA me pique mes client·es”. Et non, l’IA n’est pas un problème à ce niveau-là – je vous renvoie au Threads d’un confrère qui résume bien ma pensée : “Si vous pensez que l’IA d’Adobe va détruire votre métier c’est que vous êtes pas bon dans ce que vous faites”.

Les client·es qui préfèreront l’IA plutôt qu’un·e pro sont en général des client·es qui privilégient la rapidité plutôt que la profondeur, la quantité plutôt que la qualité – et dans ma pratique je ne veux pas de tel·les client·es, mon travail ne correspond clairement pas à leur besoin.

Par ailleurs, ce que l’IA produit n’a, selon moi, pas la valeur d’œuvre. Ce qui fait qu’une œuvre d’art nous touche et suscite des émotions, c’est qu’elle résonne en nous et que l’on s’identifie d’une manière ou d’une autre à la personne qui l’a créée – personne qui, comme nous, a des défauts et ne maitrise pas tout. C’est un vecteur de connexion profondément humain et empathique… Et quand on sait qu’une machine est derrière, la connexion se casse irrémédiablement (si tant est qu’elle ait existé). Alexandre Astier en parle bien mieux que moi.

Cela dit, la présence de plus en plus grande de l’IA dans nos vies ne fait que renforcer ma volonté de créer en tant qu’humain·e des choses uniques qui parle à d’autres humain·es. C’est toujours ça de pris !

Merci d’avoir lu ce long article. Je serais curieuse de savoir ce que vous pensez de tous ces sujets, que vous ayez une pratique artistique, ou pas ; l’espace commentaire est là pour ça !

À bientôt,

Signature Judith

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